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Analyse

Fukushima, irradiation à flot continu

Deux ans après la catastrophe, les fuites d’eau contaminée vers l’océan semblent se poursuivre.
par Arnaud Vaulerin, Correspondant à Kyoto
publié le 18 mars 2013 à 21h46

Une prise inédite et inquiétante. La pêche que vient de faire Tokyo Electric Power Co (Tepco) aux abords de la centrale de Fukushima Daichi alimente les craintes d’une pollution nucléaire persistante, au moment où le site fait face à des chantiers titanesques tous azimuts.

L’opérateur a ainsi annoncé qu’il avait capturé dans le Pacifique un poisson avec un taux de radioactivité de 740 000 becquerels de césium par kilogramme (bq/kg). Soit 7 400 fois plus que la norme fixée par les autorités japonaises pour interdire tout aliment à la consommation. Le poisson de fond, une morue longue, a été attrapé le 21 février dans un filet installé aux abords des réacteurs ravagés. Afin d’empêcher que les animaux vivant près de sédiments hautement contaminés ne s’échappent au large, une barrière de 2 mètres de hauteur a été fixée sur le sol marin, à l’entrée du port bâti devant Fukushima Daichi.

Tepco, qui vient de publier le résultat de ses analyses, liste plusieurs autres poissons saisis avec des taux dépassant les 150 000 becquerels par kilogramme. Quelques jours plus tôt, la compagnie électrique avait déjà pris une truite rocheuse à 510 000 bq/kg. En décembre, une rascasse avait atteint le seuil de 254 000 bq/kg. Au large de Fukushima, dans cette zone interdite à la pêche, un chercheur a déjà mis en évidence des niveaux de contamination dépassant largement les normes sanitaires japonaises.

Dilution. En consultant les rapports officiels, un chimiste de l'Institut océanographique de Woods Hole, Ken Buesseler, est arrivé à la conclusion que 40% des espèces marines autour de Fukushima affichaient des niveaux en césium 134 et 137 supérieurs à la normale. L'origine de cette pollution peut être multiple : les sédiments marins ont stocké le césium et contaminé la chaîne alimentaire, les rivières et les pluies torrentielles ont également contribué à drainer vers l'océan des quantités considérables de radionucléides. Enfin, Tepco a admis avoir rejeté à la mer de vastes quantités d'eau radioactive entre mars et mai 2011.

Mais ce que met en évidence Buesseler va plus loin. Dans un article publié par la revue américaine Science en octobre, l'expert notait que les taux de contamination restaient aussi élevés qu'ils l'étaient un an plus tôt. Or ces taux auraient dû baisser grâce au courant, à la dilution dans l'océan Pacifique et au fait que le césium 134 (qui a une demi-vie de deux ans) se désintègre naturellement. «Il ne fait aucun doute qu'il y a une source continue de contamination», conclut Ken Buesseler.

Une équipe des sciences de la mer de l'université de Tokyo est parvenue récemment à la même conclusion. A partir des données fournies par le gouvernement japonais et Tepco entre juin 2011 et septembre dernier, des chercheurs ont effectué des mesures sur l'eau de mer au pied de la centrale. Ils ont obtenu des résultats dépassant largement les 100 becquerels de césium par litre, la norme légale. «Le taux est resté relativement stable après juin 2011», écrit le professeur Jota Kanda, qui conclut à «une libération continue de radionucléides dans l'océan», dans l'étude publiée fin février.

Les experts japonais ont fait leur calcul et avancent que l’équivalent de 16,1 milliards de milliards de becquerels se sont échoués dans la mer depuis juin 2011. Selon Kanda, il est peu probable que cela soit dû au lessivage des sols, mais plutôt à l’écoulement des eaux souterraines dans la mer ou à des fuites radioactives en provenance des installations de la centrale.

Tepco a rejeté pour l'heure le diagnostic et continuait, le 15 mars, à inspecter la partie basse de la tranche 2 pour déterminer l'étanchéité du réacteur. Dans le même temps, l'opérateur est également confronté à un grave problème de place à Fukushima. Sur le site, quelque 260 000 m3 d'eau contaminée sont stockés. Chaque jour, 400 m3 d'eau souterraine supplémentaire s'infiltrent dans les bâtiments des réacteurs, où elle se mélange avec des débris radioactifs. Tepco va porter sa capacité de stockage à 700 000 m3 d'ici à 2015, mais il y a toujours un risque que des substances radioactives s'échappent dans l'environnement. En fait, Tepco cherche à rapidement décontaminer l'eau pour la larguer dans l'océan. Il a dévoilé un filtre qui permettrait de supprimer de nombreux éléments radioactifs. Mais l'installation n'est pas encore au point. Et l'opérateur, qui a un lourd passif d'erreurs, de mensonges et d'omissions, va devoir «obtenir la compréhension des personnes concernées», comme l'a relevé récemment l'un de ses responsables, pour arriver à ses fins.

Acier. Le travail de persuasion ne sera pas une mince affaire. Le Premier ministre, Shinzo Abe, a lui-même reconnu, début mars, que cette «eau ne sera pas rejetée facilement dans l'océan». Abe a également mis la pression sur Tepco pour que les travaux autour du réacteur 4 soient accélérés : mi-mars, la moitié d'une imposante structure en acier avait été bâtie. Une fois terminée, elle coiffera l'unité 4 afin que les barres de combustible d'uranium puissent être retirées de la piscine de refroidissement. L'opération doit démarrer en novembre. Tepco entamera alors un chantier à haut risque.

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