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Ecologique, la voiture électrique?

Les constructeurs automobiles vantent les avantages de leurs modèles électriques. Des véhicules «zéro émission», affirment-ils. Pourtant, ce mode de propulsion est loin d’être propre. La pollution est délocalisée dans les pays qui fabriquent le cœur de ces bolides: les batteries

Illustration: Laurent Bazart pour Le Temps.
Illustration: Laurent Bazart pour Le Temps.

Une voiture circule en silence sur une route perdue au milieu des champs. Au loin, la mer reflète les rayons du soleil. Le message ne pourrait être plus clair: le bolide est en harmonie avec la nature. Cette vidéo promotionnelle s’affiche à l’ouverture du site de Tesla. Le constructeur californien veut mettre fin à l’ère du pétrole, et pour atteindre cet objectif il mise sur des véhicules électriques à l’allure futuriste. Une ambition clairement assumée par l’entreprise: «Pour Tesla, au plus vite l’humanité s’affranchira des énergies fossiles au profit d’énergies renouvelables, au mieux le monde se portera.» Son charismatique patron, Elon Musk, invite les constructeurs traditionnels à lui emboîter le pas.

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Une stratégie payante: sa société est sous le feu des projecteurs, au point d’avoir des difficultés à répondre à la demande. Les grandes entreprises, de Renault-Nissan à Mercedes, se mettent, elles aussi, à l’énergie «verte». 70 millions de voitures électriques pourraient circuler sur les routes du monde en 2025, prophétise l’Agence internationale de l’énergie dans une étude de 2017. Les majors pétrolières BP ou Exxon tablent sur 150 millions d’unités en 2040. Ce bouleversement annoncé est-il une bonne nouvelle pour la planète?

Bien loin des considérations écologiques, l’industrie automobile carbure au pétrole depuis plus d’un siècle. Mais les temps changent: la consommation massive d’or noir est remise en cause. Les voitures thermiques sont les premières responsables de la pollution dans les villes.

L’énergie au bout de la prise

Perçue comme une alternative crédible, la fée électricité fait son grand retour. On l’oublie souvent, mais ce mode de propulsion existait avant son cousin thermique. Le premier modèle commercialisé date de 1852, soit une décennie avant l’émergence du moteur à explosion, et c’est aussi un véhicule électrique qui, en 1899, passa en premier la barre des 100 km/h. Nom du bolide: «Jamais contente». Un bon résumé de ses capacités d’alors. La voiture électrique est victime de la lenteur de sa recharge et de sa faible autonomie. Aujourd’hui, ses performances sont bien meilleures. Voici venu le temps de la voiture «zéro émission», clament les constructeurs.

Si le pot d’échappement disparaît, la voiture électrique n’est pas pour autant «propre». Elle continue de polluer à cause de l’abrasion des pneus, du revêtement routier et des freins. Et ce ne sont pas ses seules imperfections. Pour les déceler, il faut décortiquer le cycle de vie du produit. C’est justement le cœur de métier de Quantis, une société installée à l’Innovation Park de l’EPFL. «La voiture électrique peut être un produit avantageux comme problématique, tout dépend de ce qui se trouve au bout de la prise», prévient le consultant en durabilité Denis Bochatay, graphiques à l’appui. L’énergie utilisée pour recharger la batterie d’un tel véhicule n’est pas forcément renouvelable. Exemple avec la Chine: le pays représente 40% du marché mondial des véhicules électriques. Sauf que l’énergie des batteries provient majoritairement de centrales à charbon polluantes. Le bénéfice pour l’environnement est donc infime.

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Environnement «sacrifié»

L’Empire du Milieu domine le convoité business des métaux rares. Les mines du pays regorgent de ressources indispensables pour la fabrication de batteries lithium-ion. Très lourdes, ces dernières équipent la plupart des voitures électriques. Elles sont composées à 80% de nickel, à 15% de cobalt, à 5% d’aluminium, mais aussi de lithium, de cuivre, de manganèse, d’acier ou de graphite.

Pour obtenir ces précieux ingrédients, les usines de raffinage usent de méthodes qui polluent les sols. «Le peuple chinois a sacrifié son environnement pour nourrir la planète entière avec des terres rares», estime Vivian Wu, une spécialiste chinoise reconnue, dans le livre édifiant La guerre des métaux rares. Contacté par Le Temps, l’auteur de l’enquête, Guillaume Pitron, dénonce une «délocalisation» de la pollution: «Les pays occidentaux ont décidé de fermer leurs mines et laissent des Etats moins regardants sur la réglementation faire le travail. Ces pays sont les poubelles de notre transition verte.»

L’autre grand pays des mines, c’est la République démocratique du Congo. Elle possède la moitié du stock mondial de cobalt. En cinq ans, le prix de la tonne de cobalt a quasiment été multiplié par trois et la tendance reste à la hausse au London Metal Exchange, la bourse des métaux de la capitale britannique. Cette flambée du prix est le résultat d’une explosion de la demande. De quoi accentuer la pression sur les ouvriers des mines.

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Des enfants et des adultes extraient le métal «dans des tunnels étroits creusés manuellement et sont exposés au risque d’accidents mortels et de graves affections pulmonaires», s’alarme Amnesty International dans un rapport publié en 2017. Plusieurs grandes marques automobiles sont pointées du doigt pour leurs mauvaises pratiques, comme Renault et Daimler. Tesla est également invité à faire plus d’efforts. Le dégât d’image est important pour ces sociétés. Dans une récente lettre aux actionnaires, Elon Musk annonce qu’il veut réduire à «presque zéro» l’utilisation du cobalt dans les cellules des batteries. Un projet de traçage électronique du cobalt va également être expérimenté dans le pays africain, a révélé en mars le Financial Times.

Pétrole du XXIe siècle

Les conditions d’extraction pourraient s’améliorer dans les prochaines années, mais un obstacle se présente toujours sur le chemin de cette industrie florissante. Comme pour les énergies fossiles, les ressources sont limitées. La planète pourrait être à court de cobalt d’ici une cinquantaine d’années, selon Guillaume Pitron. La production de lithium, concentrée en Amérique du Sud, pourrait tenir un peu plus de 360 ans, avance l’Institut d’études géologiques des Etats-Unis.

Faut-il troquer sa voiture thermique pour un modèle électrique? Sur l’ensemble de sa vie, un tel véhicule présente un bilan environnemental positif. Sa batterie permet d’éviter de brûler 10 000 kilos de carburant, selon les données de Quantis. Autre motif d’espoir: le recyclage des composants de la batterie devrait s’améliorer. «Plusieurs défenseurs de l’environnement expriment leur inquiétude au sujet des voitures électriques, mais la marge de progrès est très grande, souligne Denis Bochatay. On ne peut pas les comparer avec les voitures thermiques qui ont eu plus d’un siècle pour se perfectionner.»

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«La Suisse doit passer à la vitesse supérieure»

Elle voulait donner l’exemple. En 2014, la conseillère fédérale Doris Leuthard présentait sa nouvelle voiture de fonction: une Tesla noire. Derrière ce geste symbolique se cache un objectif ambitieux. Dans le cadre de la stratégie énergétique 2050, approuvée par le peuple en 2017, la Suisse s’est engagée à réduire ses émissions de dioxyde de carbone de 20% par rapport à 1990. Pour y parvenir, le pays mise notamment sur la mobilité électrique.

Problème: seules 1,6% des nouvelles voitures mises en circulation étaient purement électriques en 2017. Une goutte d’eau. Le conseiller national Roger Nordmann (PS/VD), qui sera présent ce jeudi au Forum des 100 consacré à la mobilité, veut un plan d’action. Il a publié un rapport d’une quarantaine de pages à l’intention de son parti.

Le Temps: Dans votre rapport, vous formulez une critique sévère à l’encontre du Conseil fédéral. Vous évoquez notamment l’épisode «anecdotique» de l’achat d’une voiture électrique par Doris Leuthard. La Suisse se contente-t-elle de mesures cosmétiques?

Roger Nordmann: La Confédération n’a pas une position très claire. Elle essaie de compresser les émissions polluantes des moteurs à explosion, mais elle n’a pas vraiment affirmé qu’il faut une offensive pour favoriser les voitures électriques. Or, ce développement doit se faire à large échelle. Dans le secteur de la mobilité, on n’a quasiment pas fait de progrès. C’est une grave omission de la politique climatique suisse. Il fallait empoigner cette question.

Pourtant, la Confédération a présenté une série de mesures. Votre constat n’est-il pas alarmiste?

Il existe une exemption d’impôt pour les véhicules électriques et certains cantons prennent également des initiatives. La Confédération encourage par ailleurs l’installation de bornes de recharge sur les aires d’autoroute. Mais ces mesures sont pour l’instant minimes. La Suisse a un taux de voitures électriques très bas par rapport à des pays qui ont pris des mesures fortes. On doit s’en inspirer pour passer à la vitesse supérieure.

Les importateurs automobiles souhaitent atteindre 10% de voitures électriques d’ici à 2020. Est-ce un objectif atteignable?

Oui, c’est tout à fait réalisable. Il faut des incitations économiques pour pousser dans cette direction ou alors fixer des parts minimales de voitures électriques dans les nouvelles immatriculations. Il faut choisir l’une ou l’autre de ces mesures, mais il faut le faire. En Suisse, la population a un pouvoir d’achat élevé, donc cela pourrait favoriser le développement de ce mode de propulsion.

Selon Avenir Suisse, la Confédération doit laisser le marché se développer de manière autonome. Qu’en pensez-vous?

C’est bien entendu à l’Etat de donner l’impulsion. Cela permet d’arriver à une masse critique et que la population prenne conscience des avantages qu’offre l’électromobilité. Avec le raisonnement d’Avenir Suisse, on n’aurait jamais économisé de l’énergie dans le domaine des bâtiments par exemple. Dans ce cas précis, la Confédération avait donné des signaux très clairs. Le pur égoïsme ne permet pas d’aller dans le sens de l’intérêt commun.

Défendre la voiture individuelle ne pose-t-il pas problème? Votre prise de position pourrait déplaire aux défenseurs des transports publics…

Le rapport a suscité beaucoup de réactions, et j’observe plutôt une forme de soulagement. Il faut poursuivre le développement des transports publics de manière intensive. Mais c’est une illusion totale de croire qu’on va faire disparaître la mobilité individuelle. L’électrification du parc automobile n’est pas du tout en opposition aux transports en commun. Le public doit par ailleurs avoir une attitude raisonnable vis-à-vis de la voiture. Ce n’est pas le moment de renforcer les infrastructures routières.