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Pour la première fois, un tardigrade subit une intrication quantique

Publié le 04 Juin 2023 à 13H00 Modifié le 4 juin 2023
Représentation d’un tardigrade
Des scientifiques viennent de réussir une expérience fascinante, digne d’un roman de science-fiction : l’intrication quantique d’un tardigrade entre deux qubits supraconducteurs. Les résultats de leurs travaux réalisés par des chercheurs de l’Université de technologie de Nanyang à Singapour et leurs collègues des universités de Copenhague, d’Oxford et de Gdansk ont été publiés dans l’archive ouverte de prépublication d’articles scientifiques arXiv.

Qu’est-ce qu’une intrication quantique ?

Dans le vaste domaine de la physique quantique, Albert Einstein avait prédit que, quand deux objets, même séparés par de longues distances, se lient entre eux d’une certaine façon, alors ils peuvent interagir. Depuis, des expériences ont confirmé cette théorie que Einstein avait surnommée « l’action effrayante à distance ».

L’implication quantique ou enchevêtrement quantique constitue maintenant, un phénomène fondamental de la mécanique quantique. Normalement, deux particules subatomiques sans interactions entre elles, se trouvent dans des états quantiques indépendants l’un de l’autre. Lorsque ces particules se lient, elles se retrouvent alors dans un état quantique dans lequel elles ne forment plus qu’un seul système. Elles se retrouvent dans une sorte d’état enchevêtré dans lequel il devient impossible de décrire chaque particule de façon indépendante.

Ce nouvel état « emmêlé » provoque des conséquences subtiles pour les deux particules : toute action sur une particule aura une conséquence sur l’autre particule, même si elles sont éloignées l’une de l’autre par des années-lumière ! Cet état intriqué des particules est un nouvel état unifié et instantané. En connaissant l’état de l’une des particules, on connait automatiquement l’état de l’autre particule intriquée.

>> Lire aussi : « Ils intriquent un atome et une molécule, avec leurs états superposés ! »

Pourquoi utiliser un tardigrade ?

Les tardigrades sont des animaux faisant partie du groupe des panarthropodes. Dans cette famille, on comptabilise plus ou moins 600 espèces, toutes caractérisées par une taille qui varie de 50 micromètres à 1,2 millimètre et portant quatre paires de pattes très courtes. Malgré une taille microscopique et un aspect fragile, l’ourson d’eau – son autre nom – fait preuve d’une résistance à toute épreuve :

il résiste à des températures extrêmes comme la température la plus basse qui puisse exister, le zéro absolu qui est de -273 °C et une température de 150 °C ;

il peut subsister plusieurs milliers d’années dans un état de congélation et revenir à la vie ;

il survit dans le vide le plus complet ;

il n’a pas peur de la pression, car il est capable de résister à 600 mégas pascals soit la pression qui existerait dans un océan hypothétique de 60 kilomètres de profondeur ;

les rayons X ne l’effrayent pas. Alors que la dose létale chez l’homme est de 500 rads, plus de 500 000 rads ne le perturbent pas.

Les tardigrades possèdent aussi l’incroyable capacité de se dessécher en éliminant jusqu’à 95 % de leur eau. Cet état d’anhydrobiose est appelé « tun », car ils ressemblent alors à de petits tonneaux. Dans cet état d’hibernation, toutes les activités métaboliques de l’animal sont complètement à l’arrêt. Pour toutes ces raisons, le tardigrade semble être le candidat parfait pour cette expérience d’intrication quantique.

>> Lire aussi : « Comment le tardigrade peut-il survivre à des conditions qui défient le vivant ? »

Un tardigrade placé dans un étonnant état quantique

Les chercheurs de l’université de Singapour et leurs collègues ont placé un tardigrade en état d’hibernation « tun » entre deux qubits supraconducteurs – un qubit représente l’unité de stockage en informatique quantique. Une fois l’ensemble bien en place, ils ont abaissé la pression et la température pour atteindre le vide parfait et le zéro absolu. De cette manière, aucune influence extérieure ne pouvait interagir sur les qubits et sur le tardigrade.

Les scientifiques ont ensuite réalisé des mesures de fréquence de vibrations pour déterminer celle à laquelle le couple « tardigrade/qubit » vibrait. Lorsque cette mesure a été déterminée, les scientifiques ont pu déduire que l’état d’intrication quantique avait été atteint. Il n’était en effet plus possible de caractériser les deux qubits ou le tardigrade séparément sans que l’autre soit inclus. À la fin de l’expérience, les scientifiques ont lentement dépressurisé et réchauffé le système, permettant ainsi au tardigrade de sortir lentement de son état d’hibernation « tun ».

Selon les scientifiques de l’université de Singapour, le tardigrade utilisé au cours de cette expérience se trouvait bien dans un état où toutes les activités de son organisme étaient à l’arrêt le plus total. La moindre petite réaction biochimique aurait empêché le phénomène d’intrication quantique. Cependant, d’autres scientifiques spécialisés estiment que dans l’état d’hibernation d’anhydrobiose « tun », il subsiste une activité métabolique minime.

Les chercheurs se posent de nombreuses questions concernant cette expérience. Ils souhaiteraient par exemple découvrir si l’entièreté du tardigrade était en état d’intrication quantique ou si seulement une partie de son corps s’y trouvait.

On peut aussi se poser la question de l’intérêt d’une telle expérience. Il ne s’agit bien évidemment pas de se servir des tardigrades comme de « pièces mécaniques », mais bien de comprendre comment agissent les phénomènes quantiques, qui nous entourent, sur les êtres vivants.

>> Lire aussi : « Ordinateur quantique : comment fonctionne-t-il ?« 

Source : K. S. Lee, Y. P. Tan, L. H. Nguyen, R. P. Budoyo, K. H. Park, C. Hufnagel, Y. S. Yap, N. Møbjerg, V. Vedral, T. Paterek, and R. Dumke, « Entanglement between superconducting qubits and a tardigrade”, arXiv, 16 December 2021, https://arxiv.org/pdf/2112.07978.pdf

À propos de l’auteur
Ives Etienne
Ives Etienne
Journaliste scientifique passionné, j’ai travaillé auparavant pendant près de vingt ans dans des laboratoires de recherche en chimie et biotechnologie. En 2017, je me suis lancé dans la rédaction d’articles scientifiques afin de rendre les sciences accessibles au plus grand nombre.
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