Peu à peu, les roues du rover Curiosity s’usent sur Mars. C’est normal. Mais faut-il s’inquiéter en voyant les trous béants photographiés par l’astromobile fin janvier sur ces structures ?

Dix ans sur Mars : en août 2022, le brave rover Curiosity fêtera un anniversaire symbolique, celui de sa première décennie passée à la surface de la planète rouge. Depuis son arrivée, l’astromobile a parcouru plus de 27 kilomètres en roulant. Mais, sur Mars, il n’y a pas de routes bien plates et sans obstacle. Avec le temps, les roues de Curiosity s’abiment donc inéluctablement.

Récemment, le robot a envoyé vers la Terre plusieurs photos de ses roues. Elles ont été prises le 27 janvier 2022 avec MAHLI (« Mars Hand Lens Imager »), l’un des nombreux appareils photo de Curiosity. Celui-ci est installé sur le bras robotique du rover. Il sert principalement à étudier la composition des roches, mais peut aussi prendre des photos du rover.

Oui, c’est bien la planète que vous voyez à travers les roues

En voyant ces images obtenues fin janvier, on est tenté de s’inquiéter sérieusement pour la mission : les roues de Curiosity apparaissent percées de larges trous ! « C’est vrai que quand on commence à voir la planète à travers les roues, c’est que quelque chose ne va pas, que ce n’est pas normal », confirme à Numerama William Rapin, chercheur CNRS à l’Institut de recherche en astrophysique et planétologie. Curiosity est monté sur 6 roues de 50 centimètres de diamètre, toutes équipées de leur propre moteur. Elles sont en aluminium, avec des crampons et des ressorts.

En fait, leur robustesse a été mise à l’épreuve dès les premiers tours de roue de Curiosity sur Mars. « Le problème des roues est un problème de longue date, qui nous a surpris assez vite, se souvient le scientifique. On est sur une planète qu’on connait mal. Ce qu’on connaissait de Mars, on le devait aux précédents rovers, qui étaient plus petits et exploraient des zones choisies pour la grande superficie de leur zone d’atterrissage. »

Des roches acérées qui pourraient « vous découper les chaussures »

Curiosity, lui, a été posé dans le cratère Gale, choisi pour la variété de ses roches. Mais cela avait une contrepartie, poursuit Willam Rapin. « La révolution avec Curiosity, c’est qu’on s’est posé dans un site beaucoup plus escarpé qu’avant. On avait la possibilité d’atterrir de façon beaucoup plus précise grâce à des systèmes de guidage. On s’est posé près d’une montagne très haute, dans un terrain inédit. Là, on a découvert de nouveaux types de roches. » Des roches qui se sont révélées particulièrement acérées, dès la première année de mission sur Mars. « Il faut bien s’imaginer qu’il n’a pas plu depuis des milliards d’années. Les roches sont sculptées par le vent. […] Si elles étaient sur Terre, il ne faudrait pas marcher dessus, elles pourraient vous découper les chaussures ! »

Ah oui, quand même. // Source : NASA/JPL-Caltech/MSSS
Ah oui, quand même. // Source : NASA/JPL-Caltech/MSSS

Au début de la mission, Curiosity a fait un petit détour pour mener des analyses. Puis, il a repris sa route, avec des kilomètres à parcourir. Alors qu’il était prévu d’avancer relativement vite (pour un rover, quelques dizaines de mètres en moins d’une heure), il a plutôt fallu ralentir Curiosity. « On a découvert que les roues étaient endommagées par certains types de roches et on a appris à vivre avec », résume le scientifique. Les équipes n’ont eu d’autre choix que de composer avec ces roches, qui risquaient de poser problème aux roues du rover.

Ainsi, il a été décidé de ne plus utiliser un système d’autonavigation, qui permettait à Curiosity d’avancer en autonomie. Il n’a pas la finesse suffisante pour repérer les roches les plus tranchantes. Ce sont donc des humains, des « rover drivers » qui choisissent chaque jour le trajet de l’astromobile et savent, avec l’expérience, anticiper les problèmes sur les roues.

« Forcément, ça ne va faire qu’empirer »

Même si les images de roues trouées sont impressionnantes, Curiosity devrait encore avoir le loisir de rouler sur Mars prochainement, rassure William Rapin. « Quand on voit les dégâts, ça commence à ne pas être très joli, certes. Mais les roues ont quand même une structure, les moteurs sont puissants et fonctionnent bien. Vu qu’on sait contrôler les dégâts avec le temps, on sait qu’on a assez de temps devant nous. » Avec les années et l’expérience, les équipes maîtrisent désormais la manière dont les roues s’usent à la surface martienne.

Les ingénieurs du Jet Propulsion Laboratory de la Nasa dressent ainsi une cartographie des dégâts, y compris de chaque petite barrette métallique. « Forcément, ça ne va faire qu’empirer, prévient l’expert interrogé par Numerama, mais on sait que ce n’est pas un rover immortel. On a des objectifs en tête et on a le temps de les faire largement. Ces trous vont commencer à devenir de plus en plus impressionnants, mais a priori on aura une maitrise là-dessus. »

« On sait que Curiosity n’est pas immortel. »

William Rapin, chercheur CNRS

Et si les roues étaient un jour si endommagées que Curiosity ne pouvait plus avancer ? La mission pourrait-elle malgré tout continuer (en supposant que le reste du rover continue de fonctionner) ? « La Nasa considèrerait sûrement de mettre fin à la mission, au bout d’un certain temps, estime William Rapin. Elle ne laisserait sans doute pas beaucoup de temps supplémentaire, car cela coûte assez cher d’entretenir cette mission. » Tout dépend aussi du lieu où l’astromobile est immobilisé : si son bras fonctionne et que le lieu a un intérêt scientifique, on pourrait éventuellement faire des analyses.

Mais il parait plus probable que ce soit un autre composant du rover qui tombe en panne, avant que les roues ne lâchent. Par exemple, l’ordinateur de bord : il a déjà fallu basculer sur le deuxième exemplaire, en « backup », à cause de soucis de mémoire il y a quelques années. « Vous entendrez parler d’autres problèmes que les roues dans les mois ou années qui viennent, c’est une machine compliquée. »

Surtout, Curiosity a plus besoin que jamais de ses roues, alors qu’il est en pleine ascension du mont Sharp, la montagne au centre du cratère Gale. « On compte beaucoup sur les roues, maintenant qu’on est arrivé à cette montagne qui fait 6 kilomètres de haut, conclut le scientifique. C’est le moment de briller ! Chaque mètre qu’on arrive à monter nous aide à reconstruire l’histoire de Mars. On a mis du temps à se rapprocher de cet édifice, et maintenant tous les mètres gagnés sont des connaissances en plus sur l’histoire de l’évolution des climats passés de Mars. On a beaucoup à gagner à être encore capables de rouler sur cette montagne. »


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