Je n’ai pris la parole sur l’alcool qu’une seule fois depuis huit mois. Dans une émission dédiée à l’alcoolisme sur France 2 mercredi dernier » semble presque regretter Agnès Buzyn, la ministre de la Santé, invitée de la matinale de France Inter ce 14 février. Interpellée par un vigneron bien connu du Gard, Xavier Fabre*, l’ancienne présidente de l’Institut National du Cancer a tenté d’expliquer sa pensée, en l'atténuant au passage : « le buzz fait sur ma prise de parole mercredi dernier fait penser à des gens que j’ai attaqué le vin. J’ai simplement parlé du problème de l’alcoolisme en France. [J’ai] un devoir de prévention de l’alcoolisme, notamment sur deux populations vulnérables : les jeunes et les femmes enceintes. Je ne vois pas en quoi en disant cela, j’attaque la viticulture. Par ailleurs, j’aime beaucoup boire un verre de vin en situation conviviale, comme tout le monde. »
Animant le débat sans s’en laisser conter, le journaliste Nicolas Demorand a remis la ministre face à ses déclarations fracassantes : « maintenez-vous qu’il n’y a pas de différence de nature entre les alcools, quels qu’ils soient ? » Ce qui a donné lieu à un véritable exercice de contorsion : « ma prise de parole se mettait du côté du foie et du corps humain. L’alcool contenu dans tous les spiritueux, que ce soit la bière, le vin ou le whisky c’est la même molécule d’alcool. [Je parlais] pour le foie. Ensuite on peut évidemment trouver des vertus culturelles, un patrimoine, du plaisir et beaucoup de talents. Je parlais de la molécule d’alcool » a évacué Agnès Buzyn, bien moins tranchante sur France Inter que sur France 2.
Peut-être la ministre a-t-elle fini par être rappelée à l’ordre par la présidence de la République, Emmanuel Macron ayant déclaré, dans un récent courrier à la filière, que le vin est « l’âme de la France ». Peut-être répond-elle aux pressions politiques venant du vignoble, comme les déclarations du sénateur audois Roland Courteau, vice-président du groupe Vigne et Vin du Sénat, qui se positionnait « contre la plus sévère et injuste attaque que la boisson vin ait eu à subir depuis des décennies ». Peut-être a-t-elle entendu les déclarations de Vin & Société. Ne souhaitant initialement « pas commenter un programme télévisuel, fut-il consacré au vin et à l’alcool », l’association est sortie hier de son silence pour rappeler les vertus de l’éducation et sa lutte contre les consommations excessives.
« Quelle place pour le vin dans notre société ? Allons-nous vers la promotion de l’abstinence et de la prohibition ? Représenter les intérêts de la filière viticole n’est pas immoral comme certains voudraient le faire croire » lance dans un communiqué Joël Forgeau, le président de Vin & Société (qui n'avait pas souhaité participer au débat de France 2). Le vigneron ligérien ajoute que « la filière ne se substitue pas aux acteurs de santé, ni aux scientifiques. Elle peut être force de proposition et promouvoir les bons comportements sur le terrain. »
Tout l’enjeu pour la filière est désormais de créer un espace de dialogue avec les ministères de l’Agriculture et de la Santé, où sera présenté le plan de prévention en cours de rédaction (qui doit être rendu en mai prochain). Et de pouvoir enfin mettre derrière elle les craintes de dénormalisation de la consommation des boissons alcoolisées, qui planent sur la Stratégie Nationale de Santé 2018-2022.
* : « Dans une bouteille de vin, il n’y a que 12 % d’alcool, le reste c’est de la culture, de la convivialité, de la passion, des hommes et des femmes qui travaillent et des paysages. Je vous pose la question Madame la ministre : je suis viticulteur, est-ce que demain je serai considéré comme un dealer ? » lance d’une traite Xavier Fabre, président du Syndicat des Vignerons Gardois.
Cette inflexion du discours d'Agnès Buzyn ne devrait pas manquer de décevoir l'Association Nationale de Prévention en Alcoologie et Addictologie (ANPAA), qui s'est félicitée avec une vingtaines d'asssociations et d'experts « le discours très ferme » tenu sur France 2 le 7 février. « Un positionnement sans ambiguïté d’autant plus important dans une période où les producteurs, notamment de vin, se félicitent de trouver une oreille attentive à l’Elysée. Les propos de la ministre sont en droite ligne avec les positions des associations intervenant dans le champ de l’addictologie, qui réclament une information objective des Français sur les risques liés à la consommation d’alcool » souligne un communiqué collectif du 12 février.