La Russie se dote d'une loi pour instaurer un "Internet souverain"

Massivement critiqué par la société civile, le texte "Sovereign Internet Bill" est entré en vigueur le 1er novembre 2019 en Russie. Les militants craignent que cette loi ne verrouille totalement l'accès à Internet ainsi que les libertés numériques, qui sont déjà sévèrement détériorées par le pouvoir en place. Une situation qui se rapproche dangereusement de la "grande muraille numérique chinoise" où la censure est devenue monnaie courante.

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La Russie se dote d'une loi pour instaurer un

La Russie tient depuis longtemps un discours plaçant internet au sommet des menaces. Mais le Kremlin ne disposait pas encore d'un système centralisé pour "verrouiller" Internet, contrairement à la Chine. C'est désormais chose faite.

 

Une loi à ce sujet est entrée en vigueur le 1er novembre 2019, comme le rapporte la BBC. Elle vise à créer en Russie un "Internet souverain" isolé du reste des réseaux mondiaux. Concrètement, le gouvernement pourra "couper" l'accès à Internet à tout moment à condition de justifier d'un cas d'urgence. Bien sûr, il lui appartiendra de décider de ce qui constitue ou non une telle situation.

 

Le spectre d'une cyberattaque étrangère

Ce texte prévoit la création d'une infrastructure permettant d'assurer le fonctionnement des ressources Internet russes en cas d'impossibilité pour les opérateurs russes de se connecter aux serveurs Internet étrangers. Sous couvert de potentielles cyberattaques, le Kremlin demande aux fournisseurs d'accès à Internet (FAI) de mettre en place des "moyens techniques" pour opérer un contrôle centralisé du trafic.

 

"Il s'agit de créer un internet fiable qui continuera à fonctionner en cas d'influences externes, telle qu'une attaque informatique massive", a indiqué Leonid Levin, président du Comité russe sur la politique de l'information, dans un discours prononcé le 28 octobre 2019 lors du deuxième Forum numérique russe. Le gouvernement a tenté de rassurer en expliquant que les utilisateurs ne verraient aucun changement. En fait, l'absence de changement viendrait plutôt de la faiblesse des capacités technologiques russes, estiment les experts interrogés dans The Moscow Times.

 

Un propre registre de nom de domaine dès 2021

Cette loi va également permettre au Kremlin d'établir ses propres noms de domaines de premier niveau, normalement gérés au niveau de l'Internet Corporation for Assigned Names and Numbers (Icann), une organisation à but non lucratif qui fait office de gestionnaire mondial de l'internet. La Russie estime que cet organisme est sous l'influence de Washington et souhaite donc s'en détacher en créant son propre registre de nom de domaines (DNS) que les opérateurs Internet russes seront obligés d'utiliser à partir de 2021.

 

Par ailleurs, Moscou cherche à avoir une maîtrise parfaite de l'acheminement des données. La nouvelle loi ordonne ainsi au gendarme russe des télécommunications d'indiquer aux FAI par quels nœuds ils seront autorisés à faire passer leur trafic. Des dispositifs seront ainsi installés pour "surveiller tout le trafic, et pouvoir fermer ces installations à distance, ce qui lui donnera de facto un panneau de contrôle pour couper des régions, voire le pays entier d'Internet", soulignait Damelya Aitkhozhina, spécialiste de la Russie pour l’ONG Human Rights Watch, contactée par France 24.

 

Au-delà des craintes sur les droits numériques, certains acteurs se sont émus des moyens financiers qui seront nécessaires pour appliquer cette nouvelle loi. D'après une note du Conseil d'experts économiques de Russie, citée par le quotidien économique russe Kommersant, il faudra dépenser 20 milliards de roubles (environ 270 millions d'euros) pour faire face aux dépenses d'embauches, de construction et de rénovations d'infrastructures. Une facture qui pourrait même atteindre 1,7 milliard d'euros en ajoutant les dépenses de recherche et de développement.

 

Un vent de contestation

Le projet de loi avait été voté en mars et signé par le président Vladimir Poutine en mai 2019. Cette annonce avait provoqué un vent de contestation dans le pays où des milliers de Russes avaient manifesté à Moscou pour le retrait de ce texte. Ils dénonçaient alors la tentation du pouvoir de se rapprocher dangereusement du modèle chinois. En effet, l'arrivée au pouvoir Xi Jinping en 2013 a sonné le début d'une restriction très ferme de l'accès à Internet. L'accès à d'innombrables sites étrangers a été bloqué. En 2018, 26 000 sites internet "illégaux" ont été fermés par les autorités chinoises.

 

Pékin continue de s'enfoncer dans cette censure généralisée. En janvier 2019, le gouvernement a imposé de nouvelles règles très strictes sur les contenus vidéo à censurer dans le cadre de la campagne contre les informations "nuisibles". La Russie est en train de pendre le même chemin en accumulant un nombre important de textes législatifs sur ce sujet. En effet, à partir de mars 2019, de nombreuses lois ont été successivement adoptées pour permettre aux autorités russes de bloquer des sites diffusant des "fake news" ou tout message qui offenserait "la société, les représentants du pouvoir et les symboles de l'Etat".

 

Les sites d'information en ligne risquent ainsi de se voir infliger une amende allant de 30 000 roubles (400 euros) à 1 million de rouble (13 400 euros) pour diffusion "sous couvert d'informations vérifiées, de fausses informations susceptibles d'avoir un écho social significatif". Il appartiendra aux procureurs de déterminer si oui ou non il s'agit d'une fausse nouvelle et l'équivalent russe du CSA français, Roskomnadzor, pourra exiger la suppression du contenu litigieux sous peine de blocage. Comme c'est le cas dans d'autres lois russes, les amendes sont calculées en fonction du statut du délinquant (citoyen, responsable politique ou personne morale). Les opposants à ce texte alertaient alors sur le flou entourant la notion de "fake news" qui pourrait provoquer une censure généralisée des propos tenus par des opposants politiques au régime mais également des médias. 

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