Peut-on utiliser deux outils très capitalistes, le fonds d’investissement et la start-up, pour promouvoir un objectif à très long terme, la lutte contre le réchauffement climatique ? Et donc lever à terme un milliard d’euros pour investir sans espoir de profit financier dans 100 entreprises nouvelles contribuant à réduire les émissions de gaz à effet de serre ?

C’est l’ambition d’un projet profondément innovant, ambitieux, et qui fait plus avancer la réflexion sur l’entreprise de demain que tous les rapports de ces dix dernières années. Il s’agit du projet Time for the Planet (T4P, time-planet.com), lancé par cinq cofondateurs, Nicolas Sabatier, Mehdi Coly, Laurent Morel, Arthur Auboeuf et Denis Galha Garcia.

Leur hypothèse est qu’il existe des investisseurs et des entrepreneurs plus intéressés par l’utilité des projets qu’ils portent que par leur enrichissement personnel. Et que ces investisseurs et ces entrepreneurs ne se retrouvent pas aujourd’hui dans la règle du jeu des fonds d’investissement, calquée sur celle du chercheur d’or : tomber sur un filon, le valoriser par un maximum de barrières, et le revendre rapidement pour devenir riche. Des règles qui tordent les projets et les joueurs : une génération de jeunes talents d’entrepreneurs idéalistes devient une génération de chercheurs d’or frénétiques, prêts à vendre leur start-up au géant le plus offrant.

Les cofondateurs sont des entrepreneurs qui ont prouvé qu’ils savaient lancer des entreprises et qui veulent casser cette règle du jeu. T4P réunit trois équipes : les cofondateurs, les investisseurs et les entrepreneurs. Chaque équipe a un rôle clair, et chacun dans chaque équipe peut donner le meilleur sans arrière-pensées, parce qu’il sait que son enthousiasme ira à la mission commune et pas à l’enrichissement personnel d’un autre joueur. Cette logique de jouer ensemble s’étend à l’environnement de T4P, qui voudrait n’avoir que des partenaires et pas de concurrents : tout son savoir-faire et celui de ses participations sera en open source et la société souhaite que son organisation et tout ce qu’elle produit soient répliqués au maximum.

Voyons les règles fixées à chaque équipe.

  • Les cofondateurs

Les cofondateurs renoncent à l’enrichissement personnel, puisqu’ils n’attendent aucune plus-value de leurs actions et qu’ils plafonnent leur rémunération à 4 SMIC : une importante économie par rapport aux fonds classiques. Ils ont en revanche la libre conduite du projet à long terme, et ils ont construit l’outil pour cela. Le statut de T4P est celui de la Société en Commandite par Action (SCA), un statut rarement associé jusqu’ici à l’intérêt général (c’est celui par exemple de Lagardère), mais qui assure l’autonomie à long terme des cofondateurs (les commandités), inamovibles et avec tous pouvoirs de gestion : ils nomment les gérants de la société (eux-mêmes), président l’assemblée générale des actionnaires, et approuvent ses décisions. Leur risque financier est limité, comme leur rémunération, puisque leurs actions sont regroupées dans une société qui fait écran à la responsabilité du commandité sur ses biens personnels.

  • Les investisseurs

Les investisseurs, souhaités aussi nombreux que possible, sont actionnaires de T4M. Ils renoncent eux aussi à tout enrichissement personnel : ils savent que l’action n’augmentera pas et que la société ne versera pas de dividendes. Ils ont un double rôle, celui d’apporter l’argent, et celui d’approuver les projets (sur la base une action une voix) et surtout de les discuter et de les pousser. L’avantage des projets de T4P par rapport à ceux de fonds classiques sera d’être discutés, améliorés et soutenus par une communauté croissante d’actionnaires qui seront leurs commerciaux, leur force d’innovation, leur clientèle, leurs partenaires…

L’action vaut et vaudra toujours un euro, parce que la société émettra en permanence, une à deux fois par an, des actions nouvelles à ce prix, par augmentation de capital une première est en cours, visant à porter le capital à 600.000€ en intégrant les déclarations d’intention déjà recueillies). Les actions sont négociables, mais après notification à la société qui peut ou non se porter acquéreur (la logique est qu’elle ne le fasse pas). Un rachat par T4P est possible à horizon de 10 ans, également à un euro l’action (l’engagement est moral et non juridique). La non-distribution de dividendes est obtenue par des statuts qui la renvoie … au jour où le réchauffement climatique sera revenu à celui de l’ère préindustrielle !

  • Les entrepreneurs

La troisième catégorie de joueurs, les entrepreneurs financés par T4P, limitent également leur enrichissement personnel, puisque leur rémunération est plafonnée et que l’entreprise créée sera détenue majoritairement par T4P (qui apportera les moyens nécessaires ensuite) et renoncera à tout brevet protégeant son savoir-faire (open source). Les entrepreneurs et leur équipe pourront se consacrer entièrement au succès de leur projet. Ils seront tous unis autour du même objectif, sans les barrières que créent dans les start-up le nombre d’actions détenues par chacun selon leur date d’arrivée dans l’entreprise.

  • Et les contrôles ?

Un comité scientifique contrôle la qualité des projets, qui sont testés avant d’être proposés aux actionnaires. Les actionnaires choisissent le commissaire aux comptes et élisent un Conseil de surveillance, qui a des pouvoirs étendus de contrôle. Le Conseil n’a pas de responsabilité juridique sur les erreurs de gestion, mais une forte responsabilité morale, celle de l’arbitre signalant que la lettre ou l’esprit des règles convenues n’a pas été respecté.

La force de ce contrôle repose moins sur les textes que sur la logique choisie par T4P de transparence des règles et du jeu. Cette transparence est extraordinairement facilitée par le renoncement à l’enrichissement personnel et l’absence de secrets des affaires à protéger. Chacun voit ce que font les autres et connait les règles. Chaque équipe sait qu’elle ne peut rien faire sans les deux autres, et sait que le jeu s’arrêterait si la confiance était rompue. Et personne n’a envie qu’il s’arrête !

Au total, cette nouvelle forme de société, qu’on pourrait peut-être appeler la SEG, ou Société d’Enrichissement Général, va sûrement évoluer, mais il teste un modèle original dont on ne peut que souhaiter le succès et la reproduction.