Idriss Aberkane

Idriss Aberkane ici dans une classe d'un lycée de Parthenay, fait le tour des médias pour la promotion de son livre, mettant en avant un CV qui ne résiste pas à l'épreuve de la vérification.

PHOTOPQR/LA NOUVELLE REPUBLIQUE/MAXPPP

Vous avez peut-être été subjugué par une vidéo d'Idriss Aberkane sur Facebook ou Youtube vantant la "Neurosagesse", la "Neuroergonomie" ou "L'art de faire la guerre à la guerre". Ou par son regard de braise à la Une du Point (où il tient chronique) du 29 septembre. Il y enjoignait les lecteurs de "libérer leur cerveau".

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D'après son éditeur Robert Laffont, Idriss Aberkane est un "petit génie des neurosciences appliquées". Et quand il passe sur une télé, on commence généralement par y faire référence à son impressionnant CV.

Un parcours impressionnant et mis en avant

Par exemple présenté par Thomas Thouroude dans l'émission AcTualiTy du 12 octobre dernier, le parcours académique et professionnel d'Idriss Aberkane, "enseignant-chercheur à l'École Polytechnique, docteur en neurosciences", en impose. Le spectateur est tout prêt à accueillir comme il se doit les informations distillées par cet expert du cerveau.

En Une du Point, Idriss Aberkane est "chercheur à Centrale-Supélec et à l'École Polytechnique [...] également affilié à l'Université de Stanford et au CNRS". L'intéressé assume, sur Twitter: "C'est tout-à-fait vrai je suis enseignant-chercheur à Paris-Saclay via CentraleSupélec. Cela dit mon doctorat est soutenu depuis lgtps (longtemps, ndlr) ;)"

Et ce n'est pas fini. Dans l'émission C à vous, Anne-Sophie Lapix déroule à son tour son CV. Elle avoue même avoir "grillé des neurones rien qu'en le lisant".

Ce même CV complet (ou presque) qu'on retrouve dans d'autres média, comme Le Monde - qui a toutefois dépublié un article consacré au phénomène pendant quelques heures pour y apporter des modifications.

Un CV dopé

Vérifications faites auprès de Paris-Saclay et Centrale Supélec, Idriss Aberkane est certes enseignant vacataire à Supélec. Mais il n'y effectue "aucune activité de recherche": il enseigne ponctuellement devant des étudiants de master, mais ne peut se prétendre enseignant-chercheur, un titre officiel qu'il n'a pas.

Même réponse, faite à L'Express, au Centre de recherche en gestion de l'École polytechnique, le laboratoire où il a présenté sa dernière thèse: "Ayant fini sa thèse en début d'année, Idriss Aberkane reste chercheur associé au laboratoire pendant 1 an, mais il n'est ni enseignant-chercheur CNRS, ni Polytechnique (les deux tutelles du laboratoire, ndlr".

L'université de Stanford n'a pas répondu à nos sollicitations, mais il n'existe aucune trace d'Idriss Aberkane dans son annuaire.

Enfin, comme le souligne dans un billet de blog Romain Ligneul, neuroscientifique à l'Université de Nimègue (Pays-Bas), "Idriss Aberkane ne figure ni sur les listes d'anciens élèves (du master Cognmaster, ndlr), ni même dans l'annuaire des anciens élèves de l'ENS", formation de "neurosciences" qu'Aberkane cite dans son CV.

Aberkane "collabore avec des laboratoires"

Contacté par L'Express, Idriss Aberkane confirme qu'il n'est "actuellement ni chercheur au CNRS, ni enseignant-chercheur à Polytechnique". Quant au cours qu'il assure à Centrale Supélec, il se justifie en assurant qu'il "est innovant en soi car il a été le lieu d'une recherche sur une nouvelle méthode pédagogique avec prototypage, mise au point et mise sur le marché d'un jeu d'éducation".

Idriss Aberkane explique enfin qu'il se présente comme "affilié au CNRS et à Stanford" parce qu'il "collabore avec des laboratoires de ces institutions."

Idriss Aberkane jongle avec les titres et les institutions où il a fait un passage. Comme l'écrit Dimitri Chuard, doctorant à l'Université Paris Diderot, "l'art d'Idriss Aberkane est un art subtil. Loin de la fraude manifeste, il se contente de déformer en douceur la réalité. Oui, il a étudié à l'École normale. Mais il n'est pas normalien. Oui, il donne des cours à Centrale. Mais il n'est pas enseignant-chercheur."

La situation n'a pas l'air de choquer le service presse du CNRS, qui, bien que confirmant à L'Express qu'Idriss Aberkane n'y est pas chercheur, ne trouve rien à redire au fait qu'il soit présenté dans les médias comme "affilié" au Centre - en tout cas pas publiquement.

De l'art de la vulgarisation

Dans son livre, Idriss Aberkane passe en revue nombre de questions - l'éducation, l'économie, l'urbanisme, le sexe, le droit... - en multipliant des métaphores qui rendent parfois sa lecture difficile.

Dans un ouvrage de vulgarisation, il est d'usage de définir les termes peu usités dans le langage courant, pour une meilleure compréhension. Quid de ces mots, dont Aberkane use (voire qu'il invente) dans ses livres, mais qui n'y sont jamais expliqués: neurodroits, neurochronologie, neuro-infirmité, neuro-inspiration, neurocybernétique, neuronaissance, neuropsychologie, neurophénoménologie, neurofascisme, neurodatasome?

Pour bien vulgariser, il ne sert à rien de gonfler son CV: il faut avant tout respecter ses sujets et ses lecteurs.

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