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La séquestration du carbone par le « biochar »


Cycle du carbone (Wikipedia)

Cycle du carbone (Wikipedia)

Le carbone circule dans notre système planétaire par plusieurs interactions extrêmement complexes et complètes, dont chacune d’entre elles a fait connaître à plusieurs étudiants au doctorat des nuits blanches interminables. Ça ne date pas de l’époque de notre inquiétude par rapport aux gaz à effet de serre, mais c’est certain que depuis les années 1990, on entend plus souvent parler du dioxyde de carbone (le fameux CO2) dans l’atmosphère.

En vérité, le carbone, un des atomes composant le CO2, est présent partout. C’est la base de la structure de la matière vivante sur Terre, des hydrocarbures (d’où la raison pour laquelle quand on en brûle, il s’échappe du dioxyde de carbone), etc. Par contre, il existe quatre principaux systèmes de succion du CO2: la biosphère (le vivant), l’hydrosphère (l’eau), l’atmosphère (ça, on le sait) et finalement, la géosphère: le sol et ses composantes, dont les hydrocarbures que l’on extrait. C’est la principale source vers laquelle on pourrait, à long terme, stocker du dioxyde de carbone, à mon avis. EnCana a déjà lancé un projet pilote qui injecte le CO2 dans le sol, pour en retour pouvoir extraire du pétrole plus facilement dans le sol. C’est un système très basique; l’IEA (International Energy Agency) estime qu’il coûterait 100$/t d’envoyer une tonne de dioxyde de carbone dans l’atmosphère pour la transférer dans le sol. En plus de cela, une telle technique ne reçoit même pas l’appui de groupes environnementaux, comme Greenpeace. Le fait que cette séquestration de carbone serve à pomper plus de combustibles qui vont émettre plus de carbone joue un peu contre EnCana (une compagnie de gaz naturel).

Le biochar

Il existe d’autres méthodes plus efficaces et moins coûteuses de séquestrer le carbone atmosphérique dans le sol. L’une de ces techniques date d’environ 7,000 ans, malgré qu’à l’époque, elle avait une toute autre utilité: l’utilisation du « biochar ». Le terme s’emploie aussi en anglais, mais il est aussi proposé de l’appeler « charbon vert ». Le biochar est le résidu solide issu de la combustion partielle de la matière organique lors de la pyrolise. Je vous ai perdu? Attendez, les explications s’en viennent.

La pyrolise est un phénomène qui se passe dans un milieu pauvre en oxygène. En gros, c’est le traitement chimique de la matière organique sous l’effet de la chaleur (400 à 1000 degrés), qui transforme la matière organique. La pyrolise est utilisée pour fabriquer du PVC ou du coke (pas celle que l’on sniffe ni le breuvage) à partir du charbon. Ce coke est nécessaire dans l’industrie de l’acier, afin de réduire le fer lors de sa transformation en acier. Lorsque l’on effectue la pyrolise de matière végétale, deux produits sont générés: le syngas, qui est un mélange gazeux de dioxyde de carbone et d’hydrogène, et le biochar. On peut aussi utiliser la pyrolise pour faire du charbon de bois, dans d’autres circonstances. Le syngas peut être utilisé ensuite pour générer de l’énergie.

Le biochar est particulier, et il faudra que j’explique dans les quelques centaines de mots qui suivent comment cela fonctionne, et ce sans vous endormir.

Le biochar est issu de matière organique des plantes. Comme je l’ai spécifié, la biosphère contient du carbone. On sait que les plantes peuvent, sous certaines conditions, absorber du carbone contenu dans l’atmosphère. C’est pourquoi on considère le reboisement comme une source importante d’absorbtion de carbone qui réduit le dioxyde de carbone présent dans l’atmosphère. Or, à un certain âge, les plantes relâchent naturellement le carbone qu’elles contiennent sous forme de CO2 dans l’atmosphère (en gros, elle respire). C’est pourquoi il y a de lourds débats scientifiques qui tendent à savoir si la forêt amazonienne absorbe ou émet du dioxyde de carbone. Le CO2 est aussi émis lors de feux de forêt.

Une façon de capturer ce carbone est via la pyrolise. Une fois que l’on coupe une plante (et avant que son stade de respiration ne commence), la pyrolise relâcherait une partie du dioxyde de carbone qu’elle contient (dans le syngas), mais une bonne partie du carbone que contenait la plante resterait stockée dans le résidu solide, le biochar. Ce biochar peut ensuite être incorporé dans les sols lors des labours, afin que la géosphère (le sol) puisse absorber le carbone, plutôt que celui-ci ne s’échappe dans l’atmosphère. On estime que le carbone séquestré par le biochar reste dans le sol pendant quelques siècles, voire quelques millénaires. Au total, en tenant compte du cycle de la plante qui a absorbé le carbone, de la quantité de carbone ré-injectée dans le sol et dans l’atmosphère, cette méthode de pyrolise est la seule façon au monde qui permette de créer des combustibles (l’hydrogène) par un procédé qui réussit à dégager moins de gaz carbonique dans l’atmosphère qu’il n’en a été nécessaire pour créer le combustible. Donc, la technologie du biochar va au-delà du « neutre en carbone »; c’est une technologie « négative en carbone », qui retire du CO2 contenu dans l’atmosphère, et ce pendant une longue période de temps.

Le biochar est habituellement brûlé pour obtenir de l’énergie en ce moment. Cela donne de très petits rendements, mais ça fournit de l’énergie. Le défi restant est d’expliquer pourquoi il pourrait être plus utile, à long terme, de ne pas l’employer pour générer de l’énergie, mais bien de l’injecter dans les sols.

Pourquoi injecter le biochar dans les sols

C’est une question importante. Oui, en soit, l’idée que ce biochar puisse séquestrer de grandes quantités de carbone en l’injectant dans le sol est intéressante, mais les septiques pourraient douter des bienfaits d’une telle idée (et de son économie). Heureusement, le biochar fait bien plus que cela. On estime que l’injection du biochar dans le sol date de 7,000 ans et aurait été un fertilisant pour les sols au Brésil de type Terra preta de Indio (Terre sombre des Indes – en Portugais), une terre noire et très fertile. La nouvelle a fait fureur au XIXe siècle, quand on a avancé que des « sauvages » d’Amérique du Sud auraient pu, il y a quelques millénaires, avoir employé des techniques avancées de fertilisation, mais il semblerait que ce soit vrai. On estime que cette fertilisation aurait changé les propriétés du Terra preta, un sol trouvé dans certaines régions et qui aurait une profondeur de 1 à 2 pieds. Des analyses ont montré que le contenu en azote et en phosphore était 2 fois plus élevé que les sols de la région, et que sa couleur noire témoigne en soi de son contenu en carbone très élevé (qui favorise la fertilisation). La productivité de ces sols est, toutes plantes confondue, deux fois plus élevée que les autres sols de la région. Les papiers abondent de plus en plus pour confirmer que les peuples de l’époque produisaient leur engrais par un procédé de pyrolise, en brûlant du bois sous une montagne de boue et en enfouissant le produit de la combustion dans le sol; en gros, en produisant du biochar par une méthode des plus primaires.

Il est estimé que le sol Terra Preta contient 250 tonnes de carbone par hectare. Un sol conventionnel en contient 100t/ha. Si on y faisait pousser une forêt d’un écosystème tropical, un sol conventionnel, en plus de la biomasse qu’il contient, ne séquestrerait pas 250 tonnes de carbone par hectare. C’est un bon indice sur les vertus de séquestration du carbone du biochar et parce que celui-ci a une structure plus solide (il est oxydé lors de la pyrolise) que la matière organique, et relâche son CO2 plus lentement.

En fait, lorsque le biochar est incorporé dans le sol,  il change les propriétés du sol. En premier lieu, il aide à la fertilisation et à conserver les nutriments; avec le mouvement de l’eau, les nutriments (issus des engrais) se rendent sous la zone des racines des plantes, qui ne peuvent plus les absorber. Le biochar permet aussi de réduire les pertes de nutriments par ruissellement (le mouvement des eaux à la surface su sol après une pluie). Ces deux propriétés sont aussi communes au compost. En gros, le biochar est en soi un engrais très faible pour enrichir un sol, mais il aide celui-ci à conserver ses nutriments et à les rendre disponibles pour les plantes.

Les inconvénients

Il existe néanmoins plusieurs inconvénients à l’utilisation du biochar. Le premier vient de l’image; il est dur d’expliquer aux gens que l’emploi d’un produit similaire au charbon de bois rend les sols plus fertiles et est « négatif en émissions de gaz carbonique ». On vous traiterait de con.

Le second problème, plus sérieux, est économique. Sans tenir compte de subventions, l’implantation d’un tel procédé nécessiterait que le prix du carbone à la bourse soit de 37$/t. La bourse de Chicago estime que les crédits actuels sont de 4$/t de CO2.  On estime par contre que ce prix pourrait monter de 25 à 85$/t d’ici quelques décénnies, et bien sûr, il n’est pas exclu que les coûts de production diminuent, ou que l’on tienne aussi en compte du potentiel de fertilisation de son intégration dans le sol.

Le troisième problème vient quant à la difficulté de vendre une idée de séquestration de carbone. Selon le protocole de Kyoto, pour qu’une technologie soit reconnue au niveau de ce protocole comme une source d’absorbtion de carbone, il faut fournir des outils capables de calculer les émissions de CO2 empêchées et avoir des appuis solides dans la recherche et la littérature universitaire. D’ici quelques années, cela s’en vient; la revue Nature a d’ailleurs publié deux articles sur le biochar ces deux dernières années*.

Le dernier problème vient des propriétés du biochar. Celui-ci est composé de particules fines et légères qui sont donc très volatiles. L’incorporation du biochar dans le sol, pour être efficace, doit donc se faire par labourage. Malheureusement, le labourage est une activité qui est très mal vue par les environnementalistes, car elle utilise de la machinerie lourde et qu’elle oxyde le sol, relâchant donc du CO2 contenu dans la géosphère. Plusieurs pays subventionnent le fait de laisser un sol agricole sans labour. Par contre, il faut tenir compte du fait que de convertir toute la surface agricole des États-Unis en sol sans labour ne permettrait de séquestrer que 3,6% des émissions par les combustibles fossiles dans ce pays. Utiliser les résidus forestiers de 200 millions d’hectares (il faut s’entendre que ce n’est quand même pas une petite surface) pour effectuer de la pyrolise, produire de l’énergie et enfouir le biochar dans le sol permettrait d’en séquestrer 10%.

Le biochar est assez particulier et on commence à peine à l’entrevoir comme source de séquestration de carbone atmosphérique. C’est un concept très complexe, qui tient en compte de la dynamique des sols, de la thermodynamique et de concepts biologiques avancés, en plus d’agir avec la biochimie en général. Par contre, son potentiel est prometteur; grâce à cela, la pyrolise est la seule manière de créer un carburant qui, globalement, n’émet pas de CO2 dans l’air, mais en retire. Les milieux universitaires dans le domaine de la science des sols parlent déjà de la « black revolution », une révolution pour l’environnement et qui, ils l’espèrent, pourrait avoir un effet qui soit digne d’être cité à côté de la « green revolution » des années ’70 en agriculture (à défaut d’y être comparable). C’est une façon de faire qui répond à nos craintes actuelles, soit celles environnementales, et pourrait augmenter les rendements agricoles, et donc répondre à nos besoins en nourriture.

*Deux sources utiles sur Nature:

Black is the new green, Nature, vol. 442, 10 août 2006

A handful of carbon, Nature, vol. 447, Mai 2007

6 réflexions sur “La séquestration du carbone par le « biochar »

  1. Mmh… Je publie ça à la dernière minute. Désolé, mais quand il y a un lien, les filtres considèrent ça comme du spam. En attendant, je passe ton message ^^.

    Pour ma part, moi j’encourage à voter QS là où le PQ ne peut rentrer ou là où il entre assurément. Sinon, freinez la vague PLQuiste et noyez la ridicule adulation adéquiste.

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